23 juin 2012 | Par Valentine OBERTI
Avec 1,77 % des voix au premier tour et deux députés élus, le MoDem ressort exsangue des législatives, politiquement (nous l’avons analysé ici) mais aussi financièrement. Son financement public sera divisé par trois dès l’année prochaine. Et le remboursement des frais de campagne de ses candidats qui ont fait moins de 5 % va le contraindre à contracter un emprunt.
Ruiné, le MoDem finira-t-il par être mis en liquidation? Il est légitime de se le demander, a fortiori depuis la création d’un « label » spécifique pour les législatives, « Le Centre pour la France », label entouré de zones d’ombres. Créée dans l’entre-deux tours de la présidentielle, cette étiquette a en réalité les statuts d’un parti politique, avec l’association de financement qui va avec… Il sera donc le réceptacle du financement public découlant de ces législatives. Une question se pose : pourquoi créer cette nouvelle structure qui pourrait, dans le pire des cas, servir à organiser la faillite du MoDem ?
C’est le corollaire de tout résultat − bon ou mauvais − aux législatives : l’accès ou non au financement public. Avec 458 098 voix au premier tour et deux députés élus, les temps s’annoncent rudes pour le MoDem. « On va passer de plus de 3 millions et demi d’euros à 1 million d’euros par an », estime Jean-Jacques Jégou, le trésorier du parti.
La dotation 2012 permettra certes au MoDem de vivoter jusqu’en février-mars, mais après c’est la dotation issue des dernières législatives qui sera versée. Et cela devrait notablement changer la donne. « Les conditions de nos résultats vont nous amener à faire du licenciement économique », déclare Jégou à Mediapart. Sur la vingtaine de salariés permanents que compte le parti − soit 17 équivalents temps plein −, la moitié devrait être licenciée dans les mois qui viennent : « J’estime qu’en bon gestionnaire, si je veux pouvoir verser à ces personnes leurs indemnités légales de départ, il ne faut pas attendre mars pour leur licenciement. »
D’autant que si ces mauvais scores génèrent moins de financements, le parti doit faire face à des dépenses. Le MoDem s’est engagé à rembourser à hauteur de 5 000 euros les candidats aux législatives ayant fait moins de 5 %, c’est-à-dire ceux dont l’Etat ne prendra pas en charge les frais de campagne. Le parti évalue leur nombre à 300 (sur 350 candidats présentés). Total : 1,5 million d’euros à débourser. « On va peut-être faire un emprunt pour rembourser ces frais de campagne », confie Jean-Jacques Jégou à Mediapart.
Le Centre pour la France, un nouveau parti créé en catimini
L’histoire devient plus obscure avec l’entrée dans le jeu du Centre pour la France. Officiellement, le CPF est présenté comme une simple étiquette politique, créée à l’occasion des législatives pour rassembler sous une même bannière candidats MoDem et candidats non encartés ou venant d’autres partis, comme l’Alliance centriste de Jean Arthuis. « Le label le ‘“Centre pour la France’” se veut large, au-delà des simples personnes qui sont membres ou sympathisantes du Mouvement Démocrate, qui ont envie de se retrouver autour de valeurs et d’objectifs communs », déclarait Marc Fesneau, le 23 mai, lors d’une présentation à la presse. Deux semaines plus tôt, le 10 mai, c’est François Bayrou qui dévoilait l’étiquette : « Les candidats de ce pôle central qui auront signé une charte d’engagement se présenteront sous l’étiquette : “Le Centre pour la France”. »
Officieusement, il s’agit en fait d’un parti créé en catimini par ce que beaucoup au MoDem appellent « le clan Bayrou » : présidé par Bayrou, le CPF dispose de quatre vice-présidents (Marielle de Sarnez, Jacqueline Gourault, Jean-Marie Vanlerenberghe et Bernard Bosson) et d’un trésorier (le même que celui du MoDem, Jean-Jacques Jégou). Six fondateurs… qui en sont les seuls six membres.
Le Centre pour la France dispose des statuts d’association tels que régis par la loi 1901 avec pour objet « fédération de partis et groupements politiques qui concourt à l’expression du suffrage universel ». Elle dispose aussi d’une association nationale de financement qui, selon ses statuts, a « pour objet exclusif de recueillir les fonds destinés au financement des activités politiques du Centre pour la France ».
Autrement dit, c’est Le Centre pour la France qui recevra, en mars prochain, le financement public. Et c’était bien le but, puisque dans un courrier signé Marc Fesneau, les candidats investis par le MoDem avaient pour ordre de se « rattacher financièrement à l’étiquette “Le Centre pour la France”, à l’exclusion de toute autre, lors du dépôt de (leur) candidature en préfecture ».
Un nouveau parti est-il donc en train de naître sur les cendres encore chaudes du MoDem ? « En faire un parti, ce n’est pas du tout l’option », tranche agacée Marielle de Sarnez.
Jean-Jacques Jégou, lui, n’est pas aussi catégorique. « Ce sera notamment discuté en bureau exécutif, dit-il, en faisant référence à celui qui s’est tenu mercredi. Peut-être que c’est Le Centre pour la France qui va remplacer le MoDem. On en parlera aussi en Conseil national, qu’on doit réunir début juillet. »
Jean Lassalle, réélu député des Pyrénées-Atlantiques et fidèle parmi les fidèles, quant à lui ne l’exclut pas… et le souhaite carrément : «Tout est possible, moi je le souhaite.»
« Est-ce un nouveau parti ? Je n’en sais rien pour le moment, répond Yann Wehrling, porte-parole du MoDem. Pour moi, il y a toujours un Mouvement Démocrate. Le Centre pour la France n’est pas, en tout cas pas encore, un parti politique. »
Au-delà de ce que deviendra Le Centre pour la France, c’est aussi la façon dont il a été fondé qui questionne. Pas grand-monde n’a été informé de sa création. Robert Rochefort, l’un des vice-présidents du MoDem, tombe des nues quand on lui explique que le CPF dispose des statuts d’un parti politique. « J’ai découvert son existence une heure et demie avant la conférence de presse à laquelle vous deviez participer », nous lâche-t-il.
« Quand j’ai appris ça en conseil exécutif, le mardi après le second tour de la présidentielle, j’ai dit “mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?”, raconte pour sa part un autre vice-président du MoDem, Jean-Luc Bennahmias. On m’a répondu que c’était une étiquette pour rassembler. Ce à quoi je n’ai pas cru. Je ne pensais pas que changer de sigle du jour au lendemain ça allait changer quoi que ce soit pour moi. Le drame que nous vivons là n’est pas dû à cela, mais à une erreur stratégique importante. »
Yann Wehrling a tout autant été tenu à l’écart : « On ne m’a pas demandé mon avis. » Un autre cadre du parti s’agace : « Il y a des décisions sur lesquelles on aurait aimé discuter. »
Dans les mouvements départementaux, ni les cadres locaux ni les candidats eux-mêmes n’ont été consultés ou prévenus. « Est-ce que j’étais au courant ? Non. J’ai compris ensuite qu’il s’agissait d’une plateforme, pas plus », témoigne Madani Hadj, candidat aux législatives, responsable du MoDem dans l’Hérault. « J’étais perplexe face à cette nouvelle étiquette », réagit Pierre Yana, candidat dans le Nord. Il parle d’un mail très lapidaire reçu après la conférence de presse de Bayrou, rappelant simplement le nom de l’étiquette et son but.
« Je suis conseiller national et je n’ai eu absolument, absolument aucune information là-dessus », dit Benjamin Yoris, également membre du bureau du MoDem dans le Rhône. C’est en regardant la télé que, quand j’ai vu le Centre pour la France, je me suis dit “qu’est-ce que c’est que ce truc?”. On n’a pas eu une communication claire et précise nous disant ce qu’était le Centre pour la France. C’est tombé comme un cheveu sur la soupe. »
S’en étonne-t-il ? Pas vraiment. « Le problème avec Bayrou − qui est aussi sa qualité, seul contre tous −, c’est que c’est lui qui décide », critique Benjamin Yoris. Il cite le verrouillage du tout premier cercle : Marielle de Sarnez, Jean-Jacques Jégou, Jacqueline Gourault « qui vont cuisiner la tambouille ». Et demande, à Bayrou, dans un billet de blog, de « passer la main ».
Le Centre pour la France, réceptacle de fonds publics
C’est pourtant le CPF qui recevra le petit million d’euros de financement public, en février-mars. « Mais Le Centre pour la France, quand il aura les fonds publics, les reversera au MoDem », assure Marielle de Sarnez. « Le Centre pour la France, c’est une coquille vide, un réceptacle », insiste-t-elle encore.
Mais qui ira vérifier ? Après tout, les fondateurs du CPF en sont les uniques membres. Les statuts ont été déposés le 3 mai, soit le jour où François Bayrou a annoncé son choix en faveur de Hollande pour le second tour de la présidentielle et sans discussion de bureau. La semaine précédente, lorsque le Conseil national a été réuni, en a-t-il été question, de ce nouveau label ? Non. « C’est parce qu’on voulait rassembler plusieurs familles centristes sous un même sigle, justifie Jean-Jacques Jégou. Je pense à Jean Arthuis qui avait fait campagne commune avec nous pour la suite. » Marc Fesneau abonde dans le même sens : « Au départ, c’était pour les investitures communes avec Arthuis. Mais il nous a lâché juste avant la déclaration de Bayrou (sur Hollande – ndlr). »
Or le timing contredit ces arguments. Jean Arthuis confirme que la rupture, en réalité, était déjà consommée. Le choix de Bayrou pour Hollande a bien été le déclencheur final, mais quelques jours plus tôt, une réunion entre le leader de l’Alliance centriste et le patron du MoDem − dans une ambiance « houleuse », dixit Arthuis − signait la fin des accords électoraux tacitement passés à l’automne.
Il s’agissait de présenter une candidature unique dans une soixantaine de circonscriptions et d’investir les dits candidats très en amont de la présidentielle pour leur laisser le temps de faire campagne. Or dès février, Jean Arthuis se rend compte qu’aucune investiture ne sera donnée avant la présidentielle de « Monsieur Bayrou ». Il comprend aussi qu’à chaque fois qu’il propose un candidat de l’Alliance centriste, le MoDem estime qu’il en a un meilleur. Et si Jean Arthuis est cité comme l’un des artisans de ce centre unifié et la raison d’être de ce Centre pour la France, alors pourquoi ne fait-il pas partie des membres fondateurs ?
Bref, au fond, lorsque les statuts du Centre pour la France sont déposés le 3 mai, Bayrou et les siens savent qu’il ne s’agit de rassembler que ses candidats et quelques non-encartés. Dans ce cas pourquoi s’obstiner ? Pourquoi ne pas demander aux candidats de se rattacher financièrement à l’association de financement du MoDem ? Puisqu’en définitive, Le Centre pour la France est dirigé et géré par les mêmes personnes.
Une hypothèse peut être envisagée : le MoDem s’attend à des difficultés financières, puisque ses principales recettes, provenant du financement public, vont diminuer. Sera-t-il en mesure d’honorer ses créanciers ? On peut imaginer le scénario d’une cessation de paiement et la saisie d’actifs, liquidités et locaux (qui appartiennent à l’UDF mais dont le MoDem a l’usufruit). Mais en conservant le financement public sur le compte du Centre pour la France, les dirigeants du MoDem − et du CPF, autrement dit les mêmes − éviteraient ainsi qu’il soit ponctionné pour payer des créances et se garderaient “un trésor de guerre” pour démarrer sur de nouvelles bases, celles du CPF, le tout, sans avoir à en débattre.